Balkanisations.

«Canon: outil qui sert à tracer des frontières.» Ambrose Bierce

Deux théories contradictoires (ou complémentaires) agitent les débats des astrophysiciens: l'Univers est-il en train de se contracter ou de continuer une expansion amorcée il y a près de quinze milliards d'années? L'avenir très lointain le dira aux futures intelligences qui peupleront cet Univers en constant le changement. La connaissance historique nous renseigne que ces deux phénomènes convulsifs animent les ensembles politiques qui existent sur notre petite planète. Des petits groupes humains, familles, tribus se satellisent mutuellement pour former au gré de l'évolution de leurs communautés linguistiques et culturelles, de grands ensembles appelés nations. Et ces ensembles sont limités par ce qu'on appelle communément, les frontières. Des conflits belliqueux, des guerres de conquêtes, les colonisations sont à l'origine de la formation de grands empires, englobant plusieurs peuples, plusieurs nations. Alexandre le Grand, Rome, Timour-Lenk, l'Islam, l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre, la Russie, la France ont réalisé des empires tentaculaires. Puis, ces empires, artificiellement fabriqués à partir d'une mosaïque de peuples, se désagrègent, petit à petit, à la faveur de la décadence des métropoles. «Les civilisations sont mortelles, comme les humains», disait Paul Valéry. Au fil des siècles, cela a pu être vérifié et le phénomène n'a cessé de se répéter. Cependant, il y a lieu de remarquer que les phénomènes récents de désagrégation ou d'unification se sont faits au gré des intérêts des puissances dominantes. Ce sont souvent les interventions extérieures qui favorisent le dressage de nouvelles cartes. L'Afrique et le Moyen-Orient sont des exemples éloquents des délimitations des frontières. L'Irak, l'Arabie Saoudite, les Emirats, la Palestine ont vu leurs frontières tracées au lendemain de la Première Guerre mondiale par la France et l' Angleterre alliées.
La France ira même en 1940 jusqu'à détacher de la Syrie, une région appelée le Liban pour assurer à la minorité chrétienne, une sécurité précaire qui ne durera pas longtemps: si la Seconde Guerre mondiale a suscité les mouvements de libération, la création d'Israël sonnera comme une nouvelle façon de coloniser. Et ce n'est pas fini! Les conflits perpétuels qui agitent cette région ont pour cause essentielle, l'artificialité de la création des Etats qui la composent. C'est la raison pour laquelle, tout changement survenant, met en péril le fragile équilibre artificiel créé d'abord par les puissances européennes puis maintenu par des dictatures moyenâgeuses. On ne compte plus depuis la création de l'Etat sioniste, les nombreux soubresauts qui ont agité, à la faveur de la Guerre froide, cette région qui a la particularité d'abriter des réserves d'énergie fabuleuses et toute une mosaïque de minorités confessionnelles et linguistiques qui se vouent une haine perpétuelle à cause d'une histoire tumultueuse marquée par de sanglants conflits.
La guerre contre l'Irak amorcée en 1991 et relancée en 2003, sera le début de la fin des délimitations des zones d'influence telles que définies par les accords Sykes-Picot de 1916. Les succès remportés sur le terrain (en Syrie et en Irak) par les groupes Djihadistes sunnites introduits dans cette zone après le fameux printemps arabe vont susciter une nouvelle distribution des cartes au détriment des minorités qui avaient servi d'alibi pour l'intervention occidentale: la domination chiite aura été de courte durée et tous les espoirs des Kurdes sont menacés par cette nouvelle force financée par les Etats du Golfe et souhaitée par Washington. Cependant, dans la foulée, il faudra noter aussi que certains pays issus de l'ex-Urss, n'échappent pas à ce phénomène: après la Géorgie, l'Ukraine connaît, elle aussi, les douleurs de l'enfantement de nouvelles frontières.

 Source : http://www.lexpressiondz.com/chroniques/on_remet_ca/198339-balkanisations.html