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Défense, marine et stratégie
10 juin 2014

Le carnet de commandes de l’ANP peut favoriser l’émergence d’une industrie militaire.

Par Abdelmalek TOUATI

L’Algérie a raté de nombreuses occasions pour de mettre en place une véritable industrie de la défense. Des experts en expliquent les raisons. Et pourquoi il n’est pas trop tard pour le faire.

L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderahmane Hadj Nacer, considère que l’armée a été un «élément moteur» dans le développement de nombreux pays industrialisés à travers le monde, car «c’est un carnet de commandes récurent qui devait servir à la mise en place d’une industrie nationale,» a-t-il dit, lors de l’émission mensuelle «lignes rouges» de Radio M, inauguré la semaine dernière. Pour le cas de l’Algérie, «l’on ne peut pas parler d’indépendance nationale si en situation de crise majeure, régionale ou internationale, nous ne sommes pas autonomes en matière d’armement». D’où la question doctrinale d’indépendance «alors que l’Algérie achète tout de l’étranger». Cette situation a déjà été vécue avec le quasi-embargo imposé par les puissances occidentales sur les ventes d’armes à l’Algérie pour la lutte anti-terroriste, au plus fort de la violence des années 90.

Akram Kharief, journaliste et animateur du blog spécialisé dans les questions de défense et d’armements SecretDifa3, abonde dans le même sens. Il estime que l’armée peut être aussi un moteur de développement scientifique, car une industrie militaire fait appel à l’université et à la recherche, à l’image de ce qui s’est fait par les puissances émergentes - les Brics - «qui, toutes, disposent d’une industrie militaire développée et performante et exportent de l’armement». 

LES TENTATIVES ECHOUEES DES ANNEES 70

L’Algérie a pourtant engagé une réflexion, au début des années 70, pour la mise en place d’une base industrielle civile, qui pouvait être destinée à des usages militaires. «Le complexe moteur et tracteurs du constantinois et la fonderie de la région de Tiaret étaient, au départ prévus à des fins militaires,» révèle Hadj Nacer. Mais la réflexion n’est pas passée au stade de la concrétisation. Pour quelles raisons ? «Parce qu’il y a une opposition entre la réflexion théorique et le besoin des individus et des groupes, le rapport entre l’argent et le pouvoir n’ayant pas été réglé depuis l’indépendance», poursuit l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie.

Pour l’heure, l’Algérie se satisfait de la fabrication de munitions, d’armes légères et de matériel roulant, pour ses propres besoins. «Mais tout cela ne constitue pas une industrie militaire,» estime Akram Kharief. «L’ANP fait aussi de la maintenance de haut niveau sur ses avions de chasse et de transport et a conçu et construit des corvettes pour la marine, mais il manque une stratégie industrielle autour de cela,» a-t-il ajouté.
 
DECISION POLITIQUE

En Turquie, l’industrie militaire est née d’une décision…politique prise, vers la fin des années 80, par le régime dominé à l’époque par des généraux. Cette décision avait été suivie par la création d’un fonds d’investissement et de l’ouverture vers le privé, dans un cadre transparent. Résultat : «La Turquie couvre actuellement 75% de ses besoins militaires, exporte 1,5 mds de dollars en équipements et dispose de 80 PME qui activent dans le secteur et font vivre 12.000 familles,» explique Akram Kharief. 

Pourquoi l’Algérie n’a pas pris une telle décision ? «Le problème est que nos dirigeants veulent tout faire avec le secteur public alors que celui-ci ne dispose pas des ressources humaines et de compétences nécessaires pour concevoir un tissu industriel», explique l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie. Mais il n’y a pas que cela, estiment les deux experts. La culture de l’import-import et la focalisation des pouvoirs publics, sur les grands complexes industrialisants confiés exclusivement au secteur public, ont aussi leur part de responsabilité dans le blocage de la construction d’un tissu industriel en Algérie, qu’il soit civil ou militaire. « Car il y a encore ces rapports entre l’argent et le pouvoir, entre le public et le privé, entre le militaire et le civil qui n’ont pas été réglés, et qui ont bloqué l’effort d’industrialisation au profit de l’importation,» analyse Abderahmane Hadj Nacer. 

LES RATES DES CONTRATS «OFFSET PROGRAM» 

Nouredine Ouabdeslam, économiste et expert dans les projets à portée stratégique, est convaincu que l’armée algérienne peut soutenir la création d’une une industrie militaire, non seulement avec son carnet de commandes fourni, mais aussi avec son programme d’importations d’armement. «L’ANP aurait pu et peut encore négocier des contrats dits ‘offset program,» qui consistent à demander à ses fournisseurs d’armements d’investir dans des usines de fabrication et de montage de ces équipements en Algérie, ce qui favoriserait la création un tissus industriel de sous-traitants,» explique-t-il. Il cite l’exemple de la Pologne, dont un contrat d’achat de chasseurs F16 conclu il y a quelques années avec les Etats-Unis pour 6 milliards de dollars, avait été suivi d’un investissement américain de 9 milliards de dollars dans le pays, dont une usine de General Motors.

En bon connaisseur des questions militaires, Akram Kharief appuie l’argumentaire de Ouabdeslam en affirmant que la Russie, fournisseur traditionnel et stratégique en armement pour l’Algérie, «n’a aucun problème avec les contrats offset program». «L’Inde a largement bénéficié de ces contrats et une bonne partie de son armement d’origine russe, tels que les avions de combats, sont fabriqués depuis des années sous licence dans le pays,» a-t-il dit.

LA TUNISIE ET LE MAROC, «BONS ELEVES» DE L’OFFSET PROGRAM

Paradoxalement à l’Algérie, ce modèle de contrats offset program a été appliqué avec succès en Tunisie et au Maroc…dans l’aviation civile. Ces deux pays ont réussi à constituer une industrie de sous-traitance aéronautique de pointe, à la faveur de contrats d’achat d’avions civils, dont les montants sont largement inférieurs à ceux engagés par l’Algérie pour le renouvellement de sa flotte de transport de passagers et de fret. «Il y a aujourd’hui 1.200 PME de sous-traitance aéronautique au Maroc, dont une usine de câblerie dans la région de Casablanca, qui fabrique des câbles de trains d’atterrissage pour Boeing et Airbus,» explique Nouredine Ouabdeslam. La conclusion est donc sans appel : l’Algérie a raté des opportunités d’accompagner ses acquisitions d’avions civils et d’équipements militaires, par des clauses offset program, qui lui auraient permis de mettre en place une véritable industrie de l’armement.

Mais il n’est pas trop tard, estiment les experts : l’Algérie a encore un carnet de dépenses conséquent, dans le civil ou le militaire pour les prochaines années. Ne reste la décision politique…
 
Source : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5199304

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